« La substitution de la voiture par des transports en commun plus développés est un outil-clé de la réduction de la pollution de l’air urbain » – Pol Cosentino
La Fabrique de la Cité s’est associée à l’AFET (Association Française d’Économie des Transports) pour décerner le prix « Économie des transports », qui récompense le meilleur article proposé par un chercheur – ou un collectif de chercheurs – en doctorat ou n’ayant pas plus de 5 ans d’ancienneté post-doctorat. Ce prix a été remis le 19 novembre dernier à l’occasion du troisième colloque de l’AFET.
Les lauréats de cette deuxième édition du prix « AFET – La Fabrique de la Cité en économie des transports » sont Pol Cosentino et Pascale Champalaune pour leurs travaux “Commuting, Air Quality and Welfare in the Paris Region” qui porte sur l’évaluation de l’impact du Grand Paris Express sur le report modal et sur la valeur du foncier, sous le prisme de la qualité de l’air.
Pouvez-vous décrire votre étude ?
Le but de notre étude est de mettre en perspective les relations entre les flux de déplacement des actifs pour leurs trajets domicile-travail, la pollution atmosphérique et le bien-être dans la ville.
Pour ce faire, nous avons utilisé un cadre théorique appelé modèle quantitatif urbain. Le modèle standard permet de considérer les déplacements domicile-travail au sein d’une ville, tout en prenant en compte l’hétérogénéité des quartiers en termes d’aménités, de productivité, d’accessibilité de transport, et d’offre de logement. Par exemple, le modèle va saisir le fait que des localités comme La Défense ou bien le 8ème arrondissement de Paris sont plus productives (c’est-à-dire qu’elles travaillent plus efficacement grâce à de bonnes infrastructures, une forte concentration de l’activité, et une meilleure circulation des idées) que d’autres quartiers de la ville. En miroir, le modèle va aussi intégrer le fait que certains quartiers de la ville sont relativement plus spécialisés dans le secteur résidentiel.
En plus de ces éléments conventionnels, nous avons incorporé dans ce modèle une nouvelle dimension, la pollution atmosphérique générée par le trafic automobile, afin d’étudier la façon dont elle affecte la qualité de vie des résidents et des actifs.
En quoi votre étude complète-t-elle les travaux qui existent déjà ?
Les modèles existants reposent principalement sur trois agents présents dans la ville :
- les actifs, qui décident où vivre et où travailler ;
- les entreprises, qui décident d’utiliser la capacité de travail des actifs en échange d’un salaire pour produire un bien ou un service ;
- et les promoteurs immobiliers, qui produisent le logement dans la ville.
Notre modèle est construit à partir de ces trois agents urbains communément étudiés, en ajoutant des blocs de pollution atmosphérique. Nous considérons un mode de transport polluant, la voiture, et un mode de transport non-polluant, les transports en commun. La pollution est générée par les gens qui utilisent la voiture, ce qui crée une relation entre le nombre de déplacements domicile-travail et la pollution à un niveau local. De plus, nous considérons le fait que les gens qui utilisent la voiture entre un quartier A et un quartier B polluent tout le long de leur parcours. Afin de modéliser l’effet de la pollution atmosphérique sur le bien-être des agents, nous avons incorporé ce module de pollution dans les dimensions d’aménités et de productivité, ce qui n’avait pas été fait par la littérature existante. En d’autres termes, la pollution de l’air va diminuer le niveau d’aménités au sein d’un quartier résidentiel, tandis qu’elle va diminuer la productivité sur le lieu de travail. Tous ces éléments nous permettent d’estimer les effets néfastes de la pollution atmosphérique et ainsi de mieux évaluer l’effet de l’investissement dans les transports en commun.
En effet, la création d’une nouvelle infrastructure de transport en commun diminue les temps de trajet entre quartiers, et augmente le nombre de personnes utilisant ce mode de transport peu polluant. Des trajets en voiture sont évités, ce qui diminue la pollution atmosphérique dans les quartiers de départ, traversés, et d’arrivée. À leur tour, les niveaux d’aménités et de productivité augmentent, ce qui attire des résidents et des entreprises.
La création d’une nouvelle infrastructure de transport en commun diminue les temps de trajet entre quartiers, et augmente le nombre de personnes utilisant ce mode de transport peu polluant.
Quelles dimensions votre étude invite-t-elle à prendre en considération au moment où on réfléchit à redessiner les réseaux de transport dans la ville ?
Nos travaux démontrent que la substitution de la voiture par des transports en commun plus développés est un outil-clé de la réduction de la pollution de l’air urbain. La possibilité d’effectuer au moins une partie de son trajet en transport public permet d’éviter des déplacements en voiture, de réduire la pollution, et ainsi d’augmenter le bien-être. Notre étude montre d’ailleurs que des effets sont visibles même quand le réseau de transport est déjà très développé, comme c’est le cas en région parisienne.
Plusieurs leviers pourraient ainsi être activés : (i) favoriser les interconnexions et l’intermodalité des réseaux de transports existants et en affiner le maillage, (ii) mettre en place des transports publics là où il n’existe que des tronçons routiers pour concurrencer la voiture. Dans ce dernier cas, nous voyons que l’option du tramway, au coût plus limité que le très onéreux métro, est une piste intéressante.
Comment observez-vous le lien entre les transports et d’autres secteurs comme le logement ou l’activité économique par exemple ?
Les modèles quantitatifs urbains permettent de modéliser les interactions entre différents acteurs au sein d’une ville. Les entreprises et les actifs exercent une demande de logement, lequel est fourni par les promoteurs. Plus précisément, les entreprises cherchent à s’installer dans des zones productives, mais où les salaires et les loyers restent suffisamment bas pour limiter leurs coûts. Les ménages, de leur côté, souhaitent vivre dans des quartiers offrant de bonnes aménités (parcs, écoles, services…), tout en restant abordables. Enfin, les promoteurs construisent du logement là où les loyers sont élevés, car cela rend les projets rentables.
Ces choix individuels interagissent entre eux : les quartiers attractifs pour les ménages ou pour les entreprises attirent plus de demande, ce qui fait monter les loyers et incite les promoteurs à construire. Les décisions de chacun dépendent donc des décisions des autres, ce qui crée des effets d’équilibre général. Nous estimons que les relations entre les différents acteurs de la ville peuvent être prises en compte de manière fiable grâce à ce type de modèle d’équilibre spatial.
Les quartiers attractifs pour les ménages ou pour les entreprises attirent plus de demande, ce qui fait monter les loyers et incite les promoteurs à construire. Les décisions de chacun dépendent donc des décisions des autres, ce qui crée des effets d’équilibre général.
Vous avez principalement étudié l’île de France avec le modèle développement du Grand Paris Express. Mais aujourd’hui, est-ce que vos travaux pourraient être appliqués à d’autres aires urbaines, dans un contexte de développement des projets de Services express régionaux métropolitains (SERM) ?
Notre modèle est tout à fait reproductible. Il est notamment caractérisé par sa grande malléabilité, car il contient peu d’équations, et repose sur peu d’élasticités. En intégrant les données d’une autre ville, on peut calibrer le modèle et rationaliser l’équilibre observé dans cette ville. En particulier, si on enlève l’hétérogénéité entre travailleurs et l’hétérogénéité entre modes de transport, pour ne prendre en considération que le rôle des voitures, on pourrait très bien calibrer un modèle quantitatif urbain standard.
Il suffirait alors d’observer les loyers, les flux domicile-travail, ainsi que les temps de trajet en voiture entre quartiers. Cela dit, si des pouvoirs publics veulent appliquer notre outil à d’autres villes en intégrant la dimension pollution atmosphérique, c’est tout à fait possible. Il suffirait de décomposer les temps de trajets par type de transport et d’observer les niveaux de pollution, ce qui est le cas dans les grandes villes grâce au travail d’ouverture des données des opérateurs de transport, et des associations locales de contrôle de la qualité de l’air. Il y a très peu de paramètres à estimer, très peu de données à se procurer. La seule difficulté sera d’observer les données de flux domicile-travail par mode de transport.
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La Fabrique de la Cité
La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.

