Colloque Décider maintenant : « Comment se déploient les mobilités décarbonées à l’étranger ? »
Anthony Briant, directeur de l’École nationale des Ponts et Chaussées et Sabine Granger, directrice générale de VINCI Autoroutes ont ouvert ce colloque en soulignant la pertinence d’un regard international et pluridisciplinaire sur la décarbonation des mobilités. La relation entre la recherche, les retours d’expérience internationaux et l’opérationnel permettent de tracer l’avenir des mobilités.
Tour du monde des politiques publiques des mobilités : quel diagnostic, quels objectifs ?
La comparaison entre les stratégies de décarbonation des mobilités de l’Europe, de l’Amérique du Nord et de la Chine met clairement en évidence la manière dont les choix stratégiques passés influent sur l’avenir en matière de mobilité. Dans ces comparaisons, les observatoires de la mobilité jouent un rôle central, à travers des diagnostics et des évaluations.
Manon Eskenazi, chercheure au laboratoire Ville Mobilité Transports de l’ENPC, rappelle qu’ils s’appuient sur des indicateurs et des données qui diffèrent d’un observatoire à l’autre et nécessitent donc de comprendre le contexte local.
Dans l’UE, les efforts pour décarboner se poursuivent et produisent des effets déjà palpables. Néanmoins, Michel Savy, directeur de l’Observatoire des Politiques et Stratégies de Transport en Europe (OPSTE), souligne le clivage qui persiste autour de la place de l’automobile dans cet effort. De l’autre côté de l’Atlantique, aux États-Unis, la décarbonation des transports connaît un retour en arrière réglementaire, un frein majeur selon John Pritchard, analyste à l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE). La stabilité réglementaire est un vrai facteur de réussite et explique, entre autres, l’avance de la Chine sur les véhicules électriques – combinée à une stratégie industrielle de longue date de développement des batteries.
Quels sont les outils déployés pour engager une transition des mobilités ?
Aurore Bivas, cheffe du bureau Transports et agriculture de la direction générale du Trésor, souligne que l’inaction est plus coûteuse que l’adaptation socio-économique pour la décarbonation des mobilités. Plusieurs leviers peuvent alors être activés :
- la sobriété dans l’utilisation des voitures, qui se heurte aux besoins réels ;
- le report modal, coûteux en adaptation des infrastructures ;
- l’incitation économique (des aides à l’achat de véhicules décarbonés ou des pénalités en cas d’objectifs non-atteints).
Dans ce contexte, l’électrification semble être la solution la plus rentable collectivement et réaliste. En France, le maillage de bornes de recharge est deux fois supérieur au besoin réel et 90 % des personnes passées à l’électrique sont satisfaites.
Bien que l’Afrique reste en retrait des statistiques globales en matière de véhicules électriques, des dynamiques endogènes émergent, constate Yao Tsoekeo Amedokpo, chargé de recherche au laboratoire Mobilité Transports de l’ENPC. Principalement portées par des startups locales, elles sont souvent concentrées sur les motos électriques. Leur développement dépend de facteurs socio-économiques, culturels (force symbolique qui subsiste autour de la voiture et de la moto et méfiance technologique vis-à-vis d’une innovation, notamment autour du SAV), technologiques (dépendance aux importations, assemblage local limité) et institutionnels (urbanisation rapide).
Focus territoriaux : Comment ces outils s’articulent-ils à l’échelle territoriale ?
Prague est une ville peu dense et très étendue, ce qui pose des problématiques particulières en matière de mobilités. Marek Zderadicka, adjoint au directeur du Prague Institute of Planning and Development, décrit sa gouvernance comme assez complexe, la ville comptant 57 arrondissements et accueillant chaque jour 250 000 travailleurs navetteurs venant de communes voisines. Ce qui demande beaucoup de dialogue et de coordination. Les efforts de décarbonation se concentrent sur l’électrification des bus et le développement du réseau à travers de nouvelles lignes. Des plateformes de chargement pour des vélo-cargos ont été aménagées en ville pour contribuer à la décarbonation du dernier kilomètre, en lien avec l’essor du e-commerce, qui rencontre un grand succès.
La région Pays de la Loire présente une grande diversité de territoires, à la fois rurale et métropolitaine et connaît des mobilités saisonnières touristiques importantes. En 2019 et à la suite de la Loi d’orientation des mobilités (LOM), la Région a incité les intercommunalités à devenir Autorités organisatrices de la mobilité (AOM), pour agir concrètement sur la mobilité dans leur territoire, explique Violaine Allais, directrice des mobilités routières à la Région Pays de la Loire. Cette logique d’articulation des différentes strates se traduit aussi pour l’expérience usager (billettique, signalétique, etc.) sur les 16 bassins de mobilité. Les dispositifs de transport à la demande permettent justement de s’adapter au plus près des besoins des usagers.
L’Allemagne connaît aussi des problématiques spécifiques au niveau de la gouvernance des mobilités, du fait de la superposition entre les communes, les Länder et l’Etat central. En la matière, le Deuschland Ticket permet d’emprunter les transports urbains et interurbains avec le même titre de transport, explique Barbara Lenz, experte transports et mobilité à la Humbolt Universität zu Berlin et membre de l’OPSTE. Les mobilités doivent être abordées en lien avec d’autres politiques publiques, notamment le commerce, qui contribue à rendre les modes actifs attrayants. Cela permet alors d’accompagner les changements de comportement.
Pierre Samblat, responsable du service Observation, modélisation, rocade à Bordeaux Métropole dresse le constat d’une agglomération bordelaise étalée et peu dense, dont la décarbonation intra-muros est en partie compensée par une hausse de la circulation au-delà de la rocade. Face à cette situation, l’impératif est un changement d’échelle pour dépasser les frontières administratives et travailler sur le bassin de vie. Cette ambition se traduit par une coopération renforcée avec les Autorités Organisatrices de Mobilité (AOM) voisines, via la création d’un syndicat mixte et des contrats de coopération, afin de déployer des solutions alternatives de mobilité.
Quels sont les modèles économiques mis en place pour traduire cette ambition de décarbonation des mobilités ?
Christophe Boutin, vice-président de l’ASECAP, souligne l’importance de la redevance d’usage pour optimiser les déplacements, puisque 85 % du transport de voyageurs et de marchandises est routier. Après avoir largement développé ses infrastructures, la France doit les entretenir, les moderniser et les adapter. Deux modèles étrangers confirment l’intérêt des péages : leur suppression en Espagne a entraîné une hausse du trafic et de l’insécurité, leur mise en place en Grèce a été un succès. La suppression d’une redevance peut selon lui avoir des conséquences délétères. Il conclut que transformer une redevance existante est plus acceptable pour les usagers que d’en créer une nouvelle.
Niels Christ, CEO d’Eliso (VINCI Concessions), s’intéresse au déploiement des bornes de recharge électrique en Allemagne. Les défis reposent sur le nombre et la répartition des bornes, les délais de réalisation et l’accès aux réseaux électriques allemands. Si le passage à l’électrique peut se faire en soutenant la demande, les aides publiques restent nécessaires pour pousser les automobilistes vers la transition.
Louis Nègre, maire de Cagnes-sur-Mer et président du GART, L’association des collectivités au service de la mobilité, conclut ce colloque par un mot sur la place des élus locaux en matière de politique de mobilité. Ce sont eux qui sont en première ligne pour entendre les retours, réactions et réclamations des citoyens sur le terrain. Les élus peuvent alors s’inspirer de modèles étrangers, comme, pour Louis Nègre, la Suisse, autant sur la billettique que sur la fiabilité et la ponctualité des trains. L’action locale, le cap national et le partage d’expériences internationales s’articulent bien pour concrétiser l’ambition de décarbonation.
La Fabrique de la Cité
La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.

