La Nature n’est rien sans l’eau et les sols
La direction générale de la Commission européenne chargée de la recherche et de l’innovation a annoncé le 9 septembre le lancement d’un appel à projets consacré à « la restauration du fonctionnement, de l’intégrité et de la connectivité » des écosystèmes1. Cet appel à projet a pour objectif de « produire des connaissances exploitables » en réponse à l’effondrement de la biodiversité. La demande cible des projets de restauration de la nature, et notamment la mesure de leur succès.
Pour les villes moyennes, les volontés et stratégies de renaturation prennent de l’ampleur – c’est notamment un des axes du Fonds vert édition 20252. Les projets de renaturation en ville sont complexes, coûteux et demandent une compréhension très large de ces enjeux. Comment traduire cette ambition dans les villes moyennes ?
La gouvernance multiple, la diversité des dimensions à prendre en compte, ainsi que des moyens parfois limités du côté des collectivités sont autant de défis à relever, pour répondre au besoin pressant d’espaces naturels restaurés en ville – et partout ailleurs.
À l’occasion d’une table-ronde autour de cette thématique, organisée le 9 juillet 2025 à Mulhouse dans le cadre d’une rencontre territoriale, quatre acteurs de l’aménagement urbain et experts de la renaturation ont échangé autour de ces défis et ont formulé des pistes de réflexion et d’analyse. Le projet Mulhouse Diagonales a servi de point de départ à cet échange.
1/ La naissance d’une réflexion autour des cours d’eau…
La première intention et les plus grands travaux à réaliser dans le projet Mulhouse Diagonales tournent autour de l’eau. L’Ill et la Doller sont deux cours d’eau qui traversent la ville, mais qui sont partiellement recouverts, leurs berges sont polluées et peu accessible comme lieux de repos, de sociabilité pour les habitants. Mulhouse Diagonales vient alors traduire une ambition à la fois de rendre accessibles des espaces publics de qualité aux Mulhousiens3 et à la fois de restaurer des qualités et fonctions écologiques de zones urbaines qui ont un potentiel de renaturation – à travers la désimperméabilisation4, des dépollutions et la recréation de zones humides.
Le département du Haut-Rhin a la particularité d’avoir un réseau hydrographique très dense, avec un maillage administratif tout aussi dense. Il y a un syndicat mixte par bassin versant, mais ils sont dénués d’ingénierie. C’est donc le rôle de Rivières de Haute-Alsace – un syndicat mixte d’ampleur départementale – de leur fournir cette force de frappe.
Le projet Mulhouse Diagonales ne fait pas exception. Mulhouse s’est construite, depuis 800 ans, autour de ses cours d’eau, notamment en matière industrielle au XIXe siècle. Le travail de reconversion est d’autant plus fort que les cours d’eau ont été utilisés dans toute leur ampleur pour les activités économiques. Les lits ne sont pas naturels, et aujourd’hui la branche principale est celle qui devait initialement servir à déverser les eaux de débordement en cas de crue.
Mulhouse Diagonales s’articule autour de trois sites principaux. Sur le site des anciennes usines DMC, il était prévu de remettre à jour plus d’un kilomètre de cours d’eau. Les jardins de la Doller – des anciens jardins familiaux à l’abandon – sont devenus une zone humide de 10 hectares. Les Terrasses du Musée ont été renaturées sur 300 mètres de berges et le lit a été élargi de 8 à 16 kilomètres.
Sur le financement, les acteurs de l’eau ont également été mobilisés, puisque le projet a été subventionné à hauteur de 80 % par l’Etat et par l’agence de l’eau Rhin-Meuse.
2/ … qui s’articule a fortiori avec une stratégie de végétalisation
Si ce projet naît d’une volonté de redécouvrir – dans tous les sens du terme – les cours d’eau mulhousiens, ses ambitions dépassent cette thématique. Parler de renaturer, c’est aussi et surtout parler du vivant, donc de biodiversité. À ce titre, les végétaux, qui sont de véritables climatiseurs urbains low-tech, occupent une place prégnante dans les projets de renaturation. Ils améliorent aussi la qualité de l’air, peuvent avoir une vocation nourricière et participent de la lutte contre l’érosion.
Mais le rôle majeur rempli par les végétaux ne signifie pas que planter quelques arbres, choisis aléatoirement permet de créer des îlots de fraîcheur. La palette d’essences végétales à déployer sur un espace requiert un diagnostic fin. Selon le climat, la qualité et la nature du sol, les prévisions d’évolution de la température et des précipitations sur les années à venir, les espèces endémiques et ce sur quoi la stratégie souhaite mettre l’accent, le choix des essences peut être tout à fait différent.
La végétation urbaine entre aussi en interaction avec les usages anthropiques de la ville : la présence de réseaux souterrains ou aériens, de voirie, d’éclairage public, etc. confirment le besoin de se coordonner avec tous les acteurs de l’aménagement urbain. Des espaces renaturés peuvent générer des contraintes fortes, dans un espace urbain qui n’est pas prévu pour eux. Les racines, les feuilles au sol, les pollens, les insectes qu’ils attirent sont autant de potentiels désagréments, qui sont beaucoup plus visibles que les services qu’ils rendent. C’est pour cela qu’on ne mettra jamais assez l’accent sur les effets positifs et qu’il faut accepter que « la ville est un milieu difficile pour les végétaux ». Ils demandent de l’attention, aussi parce que c’est un milieu assez hostile pour eux.
Les micro-forêts Miyawaki
À Mulhouse a été intégrée au projet une micro-forêt Miyawaki, une méthode développée par le botaniste japonais Akira Miyawaki. Elle se base sur l’idée de recréer de la spontanéité végétale, en plantant des petits arbres assez serrés, qui permettraient de recréer rapidement une forme de nature moins contrôlée par la main de l’homme. Une des difficultés de ce type d’aménagement paysagiste est que la spontanéité naturelle se traduit par des arbres qui se tombent les uns sur les autres, des espèces végétales dites « nuisibles » ou moins désirables qui se développent spontanément, etc. Sauf pour des yeux aguerris de forestiers ou de botanistes, le spectacle ne correspond pas forcément à l’esthétique habituelle des espaces verts. Il reste encore de la pédagogie à conduire sur ce sujet, celui d’une nature non décorative.
3/ Les sols, terreau de la renaturation
Quand on renature, on pense souvent à la partie visible du projet : l’eau et les végétaux, mais le sol, élément mal connu et pourtant clé de voûte de l’équilibre d’un écosystème, doit aussi faire l’objet d’une attention toute particulière.
Un sol est un élément naturel qui se forme sur des centaines voire des milliers d’années, pour capter du carbone, fournir à la biodiversité un habitat, remplir son rôle dans le cycle de l’eau et éventuellement, nourrir des êtres vivants. Quand un sol est imperméabilisé, il étouffe et s’appauvrit : en nutriments, en eau, en vie.
Un projet de renaturation, qui viendrait désartificialiser un espace, doit donc faire face à un sol très appauvri, voire mort, et y faire revenir une forme de vie. Restaurer toutes les fonctions d’un sol est très complexe5. C’est pour cela que la Chaire de la Transition foncière a développé, avec ses partenaires, le référentiel renaturation des sols6.
Ce référentiel se propose d’être un outil d’aide à la décision pour les porteurs de projet de renaturation. En fonction des objectifs de ce projet, le référentiel propose la méthode pour décliner leurs objectifs stratégiques en fonction des sols à restaurer, et aux manières de le faire. Selon l’état initial de l’espace et les objectifs, les opérations à mener peuvent être très différentes et d’ampleur variable.
Conclusion : L’art et la méthode : la concertation
Ce qui fait la force du projet Mulhouse Diagonales en définitive, au-delà des choix qui ont été faits et du résultat – très convaincant – c’est tout le travail en amont qui a été réalisé avec les habitants, les usagers et les riverains des différents sites. Pour les mobilités notamment, ce projet a été l’occasion de venir au contact des usagers et de leur donner la place pour apporter leur expertise d’utilisateurs quotidiens des espaces publics. Claudine Boni da Silva, adjointe au maire de Mulhouse, nous prouve toute l’importance qui a été donnée à la co-construction : ce sont 66 concertations et 15 réunions publiques qui ont été organisées avant et pendant la mise en œuvre du projet. Ce projet aura alors permis d’agrandir l’espace dédié aux piétons et aux cyclistes, de mettre en place 10 lignes de pistes cyclables et de rapprocher les habitants de la nature.
Références
[1] https://research-and-innovation.ec.europa.eu/news/all-research-and-innovation-news/biodiversa-launches-new-research-call-ecosystem-restoration-2025-09-09_en
[2] « Financer des solutions d’adaptation au changement climatique fondées sur la renaturation des villes et des villages » https://aides-territoires.beta.gouv.fr/programmes/fonds-vert/
[3] Sur la thématique de la redécouverte des cours d’eau dans les villes moyennes, voir la note « D’une rive à l’autre, les villes moyennes aménagent leurs cours d’eau » https://www.lafabriquedelacite.com/publications/dune-rive-a-lautre-les-villes-moyennes-amenagent-leurs-cours-deau/
[4] Sur la thématique de la désimperméabilisation des espaces publics, voir la note « La ville perméable : une solution tombée du ciel ? » https://www.lafabriquedelacite.com/publications/la-ville-permeable-une-solution-tombee-du-ciel/
[5] https://www.caissedesdepots.fr/blog/article/refonctionnaliser-les-sols
[6] Pour en savoir plus sur le référentiel : https://www.transitionfonciere.fr/referentiel-renaturation-des-sols
La Fabrique de la Cité
La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.

