Projets inspirants

Le comité de lutte contre le bruit, un modèle de gouvernance à l’échelle locale ?

En 2024, la Mairie du 17e arrondissement de Paris est récompensée d’un Décibel d’or [1] pour la mise en place, depuis 2022, d’un comité local de lutte contre le bruit, une instance de concertation associant riverains, acteurs émetteurs de nuisances sonores et régulateurs. La naissance du comité s’inscrit dans un contexte de prise lente de conscience autour du bruit en ville, qui s’illustre par l’établissement de normes depuis les années 2000 et par une sensibilité accrue des riverains aux nuisances depuis le confinement.

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Cette étude sur la gouvernance du bruit dans le 17e arrondissement a été commandée par La Fabrique de la Cité et réalisée par Clément Hoste, Zoé Lafargouette, Emilie Mandengue, Stéphanie Seke, quatre étudiants de Master de l’Institut Français de Géopolitique (IFG). Dans le cadre de l’enquête de terrain, 10 entretiens semi-directifs de professionnels et d’acteurs de cette gouvernance ont été réalisés, ainsi qu’une enquête qualitative sous la forme d’un questionnaire et d’un atelier de cartographie sensible auprès des riverains du 17e arrondissement. Outre la synthèse de l’étude, un podcast d’une quinzaine de minutes a été réalisé, croisant témoignages d’habitants et explications d’acteurs professionnels sur la question si particulière des nuisances sonores.

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1. Un arrondissement exposé à divers types de nuisances sonores

 

Un arrondissement dense au bâti ancien

Le 17e arrondissement est marqué par une densité urbaine jusqu’à 40 fois supérieure à la moyenne francilienne dans certains quartiers. Ainsi, où que l’on habite, on n’est jamais bien loin d’un axe de transport bruyant, d’une terrasse de café bruyante, d’une zone de travaux ou de ses voisins.

L’ancienneté du bâti parisien fait aussi du 17e un arrondissement marqué par la mauvaise isolation phonique des bâtiments. Il faut attendre 1969 pour que les premières normes acoustiques apparaissent dans les réglementations relatives à la construction de nouveaux immeubles. Les normes acoustiques les plus récentes datent de 1996 [2] . Ce contexte explique que les bruits de voisinage font partie des gênes évoquées par les riverains interrogés sur le terrain (8 occurrences sur 33). Les nuisances au domicile font en effet partie de celles qui ont le plus d’impact sur la santé car elles perturbent le sommeil.

 

Si la loi en France impose des rénovations des logements considérés comme des Points Noirs Bruits (au-dessus d’un seuil de bruit, voir carte 3), les seuils réglementaires sont bien en dessous des recommandations de l’OMS et ne prennent en compte que le bruit des transports.

 

Le bruit des transports comme problématique principale

Le bruit des grands axes de transports est, de fait, la principale nuisance en milieu urbain : Bruitparif, association spécialisée dans la conception de cartes de bruit, recense 1,5 million de Franciliens exposés à des nuisances au-delà des seuils pour le bruit routier et 110 000 pour le bruit ferroviaire [3] .

 

La restitution des cartographies sensibles réalisées à partir d’entretiens avec 33 riverains du 17e arrondissement en témoignent : les espaces les plus cités comme bruyants recoupent les grands axes routiers de l’arrondissement et les carrefours, en particulier ceux permettant d’accéder au périphérique.

Les gênes liées aux transports les plus citées par les riverains sont les klaxons et sirènes (14 occurrences) et les deux-roues (7 occurrences). La problématique autour des sirènes est une spécificité locale : depuis 2018, le nouveau Tribunal de Grande Instance installé à Porte de Clichy a abouti à une augmentation des véhicules de police et de l’administration pénitentiaire. De fait, la Porte de Clichy, où se trouve le tribunal, fait partie des zones bruyantes les plus citées par les riverains. Quant aux klaxons, les riverains interrogés témoignent d’une nuisance particulièrement importante aux heures de pointe dans les carrefours congestionnés. En 2022, selon une étude réalisée à Porte d’Asnières, l’un des carrefours menant au périphérique, les sirènes et klaxons représentaient à eux seuls 53% du bruit ambiant [4] .

 

À l’inverse, les zones considérées comme calmes par les riverains rencontrés, des espaces verts ou résidentiels, correspondent à des espaces à l’écart de ces axes routiers.

 

Approcher la problématique du bruit par les perceptions des riverains laisse cependant entrevoir certains paradoxes : le périphérique n’est cité que deux fois, alors qu’il se situe au-dessus des seuils réglementaires (carte 2), même chose pour le faisceau ferroviaire Saint Lazare. Le boulevard Pereire est quant à lui cité autant comme un espace calme que comme un espace bruyant : à la fois grand axe routier, il est coupé en son milieu par la promenade Pereire, un espace végétalisé.

Le bruit dans l’espace public

Densité de population va de pair avec densité de l’activité économique et donc avec les nuisances sonores. Ainsi, 13 riverains sur les 33 interrogés citent des nuisances provoquées par des activités économiques comme une gêne au quotidien : camions-poubelles, travaux ou terrasses. Ces nuisances localisées et ponctuelles ne sont pas recensées dans les cartes de bruit réalisées par les pouvoirs publics et ne sont pas soumises à des limitations de niveau sonore. Les travaux et les bruits issus des terrasses sont néanmoins tous soumis à une autorisation préfectorale ou municipale et sont interdits après 22h. Cependant, ces deux nuisances ne bénéficient pas du même traitement dans le discours des riverains : si les travaux apparaissent comme une gêne nécessaire, les terrasses, en particulier les terrasses estivales, sont pointées du doigt par des associations de riverains.

 

Les formes de nuisances multiples auxquelles sont confrontés les habitants du 17e arrondissement impliquent alors des acteurs émetteurs divers, et mobilisent plusieurs codes et réglementations, rendant d’autant plus difficiles leur régulation

2. La concertation à l’échelle locale comme outil de lutte contre le bruit

 

D’un conflit local dans le 17e arrondissement à la mise en place d’un dispositif de concertation : le comité local de lutte contre le bruit

 

            La COVID marque un tournant dans la prise de conscience autour du bruit :  la diminution du trafic routier, ferroviaire et aérien et l’arrêt des travaux et de la vie nocturne ont fait revenir le silence en ville. Le retour à la vie normale a donc été marqué par une baisse du seuil de tolérance au bruit qui s’est traduit autour de deux sujets de tension :

  • des plaintes de riverains dès 2019, exacerbées après le confinement, concernant les sirènes de véhicules prioritaires, émises à la fois par la police et l’administration pénitentiaire aux abords du Tribunal de Grand Instance, et par les pompiers et ambulanciers ;
  • des tensions autour du bruit ferroviaire, notamment dans le parc Martin Luther King où la SNCF a annoncé en 2021, quelques mois avant la création du comité, la remise en service d’une ligne de fret. La mairie du 17e arrondissement dénonçait à l’époque une décision prise « sans information ni des riverains, ni de la Mairie d’arrondissement ».

 

Ainsi, Christophe Ledran, élu du 17e arrondissement, est chargé de « traiter les sources de nuisances sonores dans l’espace public, par la mise en œuvre d’actions concrètes » [5] , par la réunion des acteurs émetteurs, régulateurs et victimes de bruit dans l’arrondissement :  « Pendant des années, il n’était même pas question d’imaginer qu’on aurait pu faire quelque chose pour essayer de réduire un petit peu le cas particulier de certains riverains, par exemple sur des abords de voies SNCF. Maintenant, il faut s’atteler à ces sujets-là  », nous explique-t-il.

 

Polyphonie ou cacophonie ? Le comité local de lutte contre le bruit met les acteurs émetteurs, régulateurs et victimes autour d’une même table

 

Face à la multiplicité des acteurs, la mairie du 17e arrondissement crée donc une instance de dialogue et de concertation. Le comité constitue ainsi une instance primordiale permettant à tous ces acteurs de disposer d’informations claires et fiables tout en permettant de créer un dialogue entre eux, dans lequel la mairie d’arrondissement assure un rôle d’arbitre. Christophe Ledran explique :

 

« Ça fonctionne toujours quand on écoute les gens, et surtout quand on joue notre rôle d’arbitre. […] Si nous, on n’est pas là pour organiser le débat et dire que ce sont des sujets importants, sur lesquels on veut qu’ils avancent, (…) ça ne fonctionnerait pas. » [6]

©Schéma produit par : Zoé Lafargouette et Stéphanie Seke

Le partenariat avec Bruitparif a été primordial dans l’objectivation des nuisances et la montée rapide en compétences des riverains. En témoignent des associations comme les Résidents de la porte d’Asnières ou Les Jardins Suspendus des Batignolles qui n’étaient pas spécialisées sur le bruit mais qui se sont récemment saisies du sujet. Le dialogue entre associations de riverains et les acteurs émetteurs de nuisances comme la Direction de la Voirie et des Déplacements de la Ville de la Paris, la SNCF ou la Préfecture de police a permis de faire entendre les revendications des riverains et a conduit à des modifications de certaines activités émettrices de nuisances. Les modifications réalisées sur la ligne de fret de la petite ceinture par la SNCF à la suite des plaintes des habitants, le rappel du préfet aux agents de police concernant l’utilisation des avertisseurs sonores ou l’installation d’un radar sonore pédagogique sur le boulevard Malesherbes peuvent en témoigner.

« Encore récemment, une note reprise par le préfet de police, sur l’extrême vigilance à avoir dans l’utilisation des dispositifs sonores, a été rappelée. » [7]

Dès lors, chaque acteur présent aux réunions est choisi en raison de son rôle dans la gestion des nuisances sonores. Les sujets sont globaux et discutés de manière à aboutir à des solutions concrètes.

« On n’invite personne à titre individuel au comité. Ce sont toujours des collectifs ou des représentants d’habitants. Il faut que les sujets soient objectivés. Sinon, on inviterait tous ceux qui ont des problèmes de voisinage et ça ne servirait absolument à rien. » [8]

Cet outil « d’identification des problématiques »[9] , comme présenté par Joël Morvan, n’est cependant pas une solution à l’ensemble des problèmes. Le comité reste limité à son arrondissement et repose sur la volonté de la Mairie de faire perdurer la concertation.

« Quand nous leur donnons notre constat, […] quand nous suggérons des solutions, bien souvent les réponses qui nous sont faites par ces divers organismes sont : « oui, vous avez sans doute raison sur le principe, mais nous, on ne peut pas faire autrement. » Par conséquent, nous nous heurtons à des blocages[…]. »[10]

Cependant, malgré des difficultés, l’impulsion donnée par le comité sur la question des nuisances a été plus que positive. Elle a permis de mettre en avant une problématique souvent minimisée, a mené à des réalisations concrètes et a fortement sensibilisé sur la question. Ainsi, le 17e arrondissement de la ville de Paris s’affiche comme un important territoire d’expérimentation sur la question du bruit.

 

Conclusion

 

L’exemple du 17ᵉ arrondissement de Paris illustre la complexité et la richesse des démarches locales de lutte contre le bruit. Entre expérimentations techniques, innovations réglementaires et initiatives citoyennes, le comité local du bruit joue un rôle d’impulsion et de laboratoire. Depuis 2022, il a d’ailleurs inspiré d’autres arrondissements à Paris, notamment les 5e, 9e et 15e, à mettre en place des structures similaires. Cependant, son action reste dépendante de celles des instances à plus grande échelle comme la Ville de Paris et la Métropole, et des cadres juridiques qui conditionnent la mise en œuvre des solutions proposées. Au-delà de la seule question acoustique, la gestion du bruit apparaît aujourd’hui comme un enjeu transversal, à la croisée des politiques de sécurité, de santé publique et d’aménagement urbain. De ce fait, le changement de paradigme autour du bruit vient encourager la pédagogie et la médiation, et inscrire la lutte contre les nuisances sonores dans une dynamique collective et partagée.

[1] « Mairie du 17e arrondissement de Paris. Le comité local de lutte contre le bruit », Décibel d’or, 2024, https://decibels-or.bruit.fr/images/decibels-or-2023/fiches/240105_EVENT_dbdor_2024_dossier_de_presse_09_laureat_mairie_17_eme.pdf

[2] CIDB. « Isoler son logement du bruit »,(septembre 2024) https://www.bruit.fr/droits-demarches/bruit-dans-l-habitat/isoler-son-logement-du-bruit

[3] Bruitparif. « Observatoire le long du réseau SNCF » (juillet 2005), https://www.bruitparif.fr/contexte-et-objectifs/

[4] Bruitparif. « Documentation du bruit des avertisseurs sonores. Porte d’Asnières 75017 Paris », mars 2023, https://www.bruitparif.fr/pages/En-tete/400%20Nos%20publications/700%20Rapports%20d%27%C3%A9tude/2023-03-31%20-%20Rapport%20-%20Documentation%20du%20bruit%20des%20avertisseurs%20sonores%20Pte%20d%27Asni%C3%A8res%20Paris%2017.pdf

[5] « Actualité : comité local de lutte contre le bruit du 17e », Mairie du 17e, 17 décembre 2024, https://mairie17.paris.fr/pages/comite-local-de-lutte-contre-le-bruit-du-17e-20995

[6] Entretien avec Christophe Ledran, élu du 17e arrondissement en charge de la coordination du comité local, 23 mai 2025, op. cit.

[7] Entretien avec le commissaire du 17e arrondissement, 16 mai 2025, op. cit.

[8] Entretien avec Christophe Ledran, élu du 17e arrondissement en charge de la coordination du comité local, 23 mai 2025, op. cit.

[9] Entretien avec Joël Morvan, Président des Résidents de Porte d’Asnières, 21 mai 2025, op. cit.

[10] Ibid.

La Fabrique de la Cité

La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.

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