Jour 4 : La route, un espace commun ?
En septembre 2023, La Fabrique de la Cité était partenaire d’un colloque consacré à la route, co-organisé à Cerisy par Mathieu Flonneau et Frédéric Monlouis-Félicité.
Ce texte a pour vocation de donner un rapide aperçu des présentations des différentes intervenants et des échanges qui ont eu lieu dans le cadre du Colloque. Il sera suivi de la publication d’actes, complets, rassemblant les contributions universitaires et expertes ainsi que les différentes sources et références mentionnées au cours de ces journées de réflexion.
La Fabrique de la Cité tient à remercier Angèle Le Prigent, doctorante en Science Politique au Laboratoire Arènes à l’université de Rennes, Roman Solé-Pomies, en thèse de doctorat au Centre de sociologie de l’innovation (Mines Paris-PSL), Emma-Sophie Mouret, docteure en histoire de l’aménagement du territoire et de l’environnement, LARHRA, Université Grenoble Alpes, et Jean-Clément Ullès, doctorant au Laboratoire de Géographie et d’Aménagement de Montpellier (LAGAM) pour ce travail de synthèse.
La Fabrique de la Cité remercie également l e Centre culturel international de Cerisy et l’Association des amis de Pontigny-Cerisy, ainsi que l’ensemble des co-partenaires de ce colloque « Comprendre la route » : l’association P2M, le laboratoire Sirice et l’Université Paris I Panthéon Sorbonne, le Syndicat des équipements de la route, la Fédération nationale des Travaux publics, l’Union routière de France, et Route de France.
« Contradictions des politiques publiques et limites physiques : comment éviter la sortie de route ? »
par Marc Fontecave, professeur au Collège de France, chaire de chimie des processus biologiques
Marc Fontecave développe l’hypothèse selon laquelle l’utilisation de la voiture individuelle ne peut qu’augmenter à l’horizon 2050, et que le développement de véhicules électriques sera nécessaire. Mais cette perspective se heurte à des limites physiques : il serait nécessaire de développer des technologies permettant une meilleure densité d’énergie (batteries intelligentes, mieux pilotées ; circuits de récupération et de recyclage des matériaux). Les comportements individuels sauront-ils évoluer à la bonne vitesse ? La recherche et l’innovation ont été présentées comme les principales sources de solutions. Il faut laisser aux innovations le temps de se diffuser. Cependant, d’importantes limitations techniques se font jour : l’alimentation des poids lourds nécessite par exemple des batteries qui alourdissent encore les véhicules. Le développement de la mobilité électrique pourrait aussi s’accompagner du risque d’une perte de souveraineté et d’activité industrielle. En outre, le recours à des techniques carbonées semble nécessaire à la transition. Les modèles classiques de prospective fondés sur une extrapolation des tendances passées, sont-ils opérants en cas de ruptures brutales, non anticipables, notamment en matière géopolitique ? La place du débat démocratique dans les démarches de transition énergétique est également en jeu.
« La route et le rond-point, quels espaces politiques ? »
avec Luc Gwiazdzinski, géographe, Pierre-Louis Ballot, post-doctorant, Université de Tours et Jean-Clément Ullès, doctorant géographie et aménagement, Université Paul Valéry Montpellier 3
Animateur : Sylvain Allemand, journaliste et essayiste
Les enjeux politiques de la route sont présentés selon un mode de lecture dissociant les initiatives par “le haut” et par ”le bas”. La patrimonialisation des routes est à la fois portée par une politique publique, par les amateurs d’automobiles et par les riverains. Cette multiple patrimonialisation est source d’ambivalence et d’achoppements. L’intermodalité, combinaison de différents modes de transports dans un déplacement, peut-elle aussi être encouragée par les pouvoirs publics, tout en étant portée par des initiatives de terrain. Des frictions émergent également : par exemple en cas d’occupation, pour le covoiturage, d’espaces non prévus à cet effet. Le mouvement des gilets jaunes, véritable « fabrique de l’espace public par la périphérie », peut être compris comme une initiative “par le bas” en réponse à une politique publique. Les ronds-points deviennent alors des espaces de vie, de solidarité, des lieux intergénérationnels, des lieux de sociabilité, de visibilité pour les médias, des lieux de formation et d’émancipation.
La dépendance au véhicule individuel a joué un rôle déterminant dans ce mouvement : intermodalité et multimodalité pourraient être des réponses aux revendications des Gilets jaunes. L’intérêt de patrimonialiser (retenir le caractère intemporel) les mouvements sociaux opérés par, pour et sur la route, est souligné : inscrire les luttes de la route au patrimoine permettrait de ré-inscrire la route dans son temps… et de mieux comprendre les mouvements de société ?
« Réinventer le réseau viaire comme espace public et comme bien public »
par Jacques Lévy, professeur honoraire de géographie à l’école Polytechnique de Lausanne, membre du rhizome Chôros
Jacques Lévy propose de reconsidérer la route comme espace et bien public. Il rappelle l’importance de la « part d’idéel » dans le rapport à la route, selon lui tout aussi décisive que l’approche matérielle. La route est au cœur d’une histoire de violences. Espace ouvert à tous, la route est cependant vite dotée d’un système d’accès et d’usages très hiérarchisé. Dès l’Antiquité, les circulations sont séparées et régulées. Ainsi, si la route est initialement associée aux notions d’égalité et de liberté, elle s’est progressivement trouvée au cœur d’un système inégalitaire et contraint. Jacques Levy décrit en effet un mécanisme qui, au nom de la sécurité, conduit à une dissociation des usages. De fait, la route et ses systèmes sont fondés sur une séparation sociale, qui engendre de la spécialisation et de la distinction… à l’encontre du concept d’espace public. Face à ce constat, refaire de la route un « bien public » aurait un sens. Mais cela aurait également un coût et des répercussions politiques manifestes.
Une piste de réconciliation des différents « modes d’habiter » de la route comme espace public, serait par exemple d’abaisser baisser la vitesse des véhicules. Dans ce schéma : le rapport entre le plus rapide et dangereux et les plus vulnérables, serait inversé. La route prendrait ainsi en compte de façon originelle une dimension de partage.
« La route des villes et la route des champs : traits d’union d’une Nation ? »
avec Nathalie Roseau, architecte et directrice de recherche au LATTS, Etienne Faugier, historien spécialiste du tourisme et de la mobilité et Marc Desportes, historien
Animatrice : Marie Dégremont, directrice des études à La Fabrique de la Cité
Les intervenants ont questionné, à partir de différentes entrées, les enjeux liés au tandem ville et campagne, par le truchement de la route.
Un constat s’est rapidement imposé : les routes du monde rural sont moins évoquées et étudiées que les routes urbaines et périurbaines. Elles ne constituent pas des objets d’étude privilégiés. Pour autant, les routes de campagnes sont plurielles : routes quotidiennes, routes touristiques, routes patrimoniales, routes économiques, routes sportives, routes délaissées, itinéraires bis…
Par ailleurs, le tropisme urbain tendrait à faire oublier que la notion de territoire permet justement de penser ville et campagne comme un système au cœur duquel les mobilités routières peuvent être analysées. Cela invite à considérer les valeurs attribuées au temps du déplacement, à la durabilité de ces infrastructures, d’autant plus que le réseau viaire rural doit souvent supporter des trafics pour lesquels il n’a pas été conçu. Un nouvel argument pour repenser la place des routes dans l’espace politique ?
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La Fabrique de la Cité
La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.